Texte de Bernard Ménard, o.m.i., revue Notre-Dame-du-Cap, juin 2024, page 24
Un monde de cruelles inégalités
Tout le village s’était rendu à la synagogue ce jour-là. Celui qui était connu comme charpentier de Nazareth venait d’arriver, après une absence de plusieurs mois. Sur le chemin du retour, on dit qu’il avait opéré des guérisons! Le Rabbin l’invita à commenter un texte d’Isaïe: « L’Esprit m’a consacré. Il m’envoie libérer ceux qu’on garde en marge de la société: les pauvres, les prisonniers, les infirmes. Et proclamer la bienveillance de Dieu pour tous » (Luc 4, 18-20). C’est là ma mission, dit Jésus. Or, à mesure qu’il met en action sa préférence pour ceux que les « purs et durs » de la Loi méprisent, il s’attire leur haine. Bientôt, ils le tueront d’une mort atroce.
Choisir entre deux sociétés
Qu’est-il donc arrivé à ce « Prince de la Paix »? C’est que le monde dans lequel Dieu s’est incarné est marqué par des inégalités déchirantes. Le peuple élu a été lui-même soumis à l’esclavage. Dieu alors s’est positionné du côté des opprimés et les a fait sortir (Exode 3,7-11). Aujourd’hui, Jésus s’engage dans un projet de libération, à contre-courant de ce qu’est devenue la religion de son temps, réservée aux pratiquants des prescriptions de la Loi et du Temple. Ces « justes » sont scandalisés par l’accueil que Jésus fait aux hors-normes: publicains, prostituées, pêcheurs publics qu’il déclare « accueillis dans le Royaume avant vous » (Matthieu 21,31). Et il ne se gêne pas pour donner en exemple de compassion pour le prochain ou de gratitude pour avoir été guéri…qui? Des samaritains, maudits par les Juifs comme hérétiques.
Après la crucifixion de Jésus, les premiers chrétiens ont compris que, pour le suivre, il faut éliminer toute inégalité entre disciples. Un texte de Paul est proprement révolutionnaire: « Dans le Christ Jésus, il n’y a plus de supériorité entre Juifs et paÏens, entre hommes et femmes, entre maîtres et esclaves » (Galates 3-28). Vous imaginez ça, un empire sans esclaves? Pas étonnant que les empereurs romains ont brûlé vifs les chrétiens.
Des options pour aujourd’hui?
Quiconque s’oppose au racisme, aux écarts grandissants entre riches et pauvres, aux abus de pouvoir risque sa vie. Il faut pourtant s’engager comme Jésus, avec audace et ténacité. Ça implique de dépasser une religion de dévotions tranquilles, aliénantes. Un père capucin qui a travaillé plusieurs années au sous-sol de l’hôtel Hilton, Benoît Fortin, recommandait de prier trois nouveaux saints: S’Informer, S’Indigner, S’Impliquer. Sans recherche de la vérité et sans indignation devant les horreurs commises, pas d’implication valable.
Nous avons vu récemment que même d’anciennes victimes peuvent devenir persécuteurs: Israël, qui avait subi autrefois l’esclavage et, au siècle dernier, l’Holocauste, est devenu, dans ses leaders, oppresseur acharné des Palestiniens. Leur riposte démesurée à l’attaque d’octobre dernier, démontre leur détermination à anéantir les ennemis sans égard pour la population civile, allant jusqu’à les traiter d’animaux pour se donner bonne conscience. Sans le souffle de l’Esprit, nul ne construit le Royaume de liberté radicale et d’amour universel.
Juin est consacré au Sacré-Coeur de Jésus. Coeur brûlant de miséricorde et de tendresse. Brûlant aussi de douleur devant les injustices dont souffrent tant de victimes en notre temps. Est-ce que ma prière en cette fête rejoint le cri de ces humains profondément blessés, ou se limite à mon attachement à une belle statue du Sacré-Coeur?